samedi 16 juillet 2011

Maurice Ravel - La Valse (1919-1920) / 1e partie

Ravel fut, sa vie durant, un amateur éclairé et un amoureux de la danse. Une grande partie de son répertoire fait ainsi référence à des danses du monde entier : espagnoles (boléro, habanera, jota, malaguena), slaves (mazurka, czerdas), ou anciennes (menuet, passacaille, pavane, rigaudon, forlane). Il éprouvait cependant pour la valse « une sympathie intense et toute particulière pour (ses) rythmes admirables, et pour la joie de vivre qui s'y exprime ». On retrouve d'ailleurs ce type de danse dans L'Heure Espagnole, Ma Mère L'Oye, L'Enfant et les Sortilèges ou dans les Valses Nobles et Sentimentales.


En 1906, Ravel, alors âgé de 30 ans, avait envisagé de composer un poème symphonique pour le ballet, avec « une apothéose de la valse. L'idée lui était venue d'une conversation avec le chorégraphe Diaghilev (resté célèbre pour avoir apporté les ballets russes à Paris). Les deux hommes, dans leur correspondance, avaient pris l'habitude de nommer leur projet « Wien » en hommage au compositeur viennois Johann Strauss.


La Première Guerre Mondiale l'obligea à remettre ses projets. Ravel connut, à la fin de la guerre, une longue période de dépression, renforcée par la mort de sa mère, qu'il chérissait. Pendant plus d’un an, il cessa totalement de composer. Malgré tout, avec la mort de Debussy en 1918, Ravel était devenu l'un des compositeurs majeurs de l'Ecole française moderne. La Valse allait confirmer ce statut.


A la fin de l'année 1919, Ravel décida de se retirer chez des amis en Ardèche. Il composa avec un rare acharnement La Valse, comme un exutoire, et l'acheva en moins de cinq mois.


L'argument de La Valse tient en peu de mots, qu'on peut lire en tête de la partition : « des nuées tourbillonnantes laissent entrevoir par éclaircies des couples de valseurs. Elles se dissipent peu à peu : on distingue une immense salle peuplée d'une foule tournoyante. La salle s'éclaire progressivement. La lumière des lustres éclate au fortissimo. Une cour impériale vers 1855. ». Il concevait son oeuvre comme « une métaphore de la grandeur, de la décadence puis de la destruction de la civilisation » : à l'image romantique et fastueuse de la cour viennoise du XIXe siècle, illustrée par les Valses de Strauss, succédait l'image d'un monde décadent, menacé par la ruine et la guerre. A un journaliste hollandais, il expliqua qu’il voyait sa Valse comme « une extase dansante, tournoyante, presque hallucinante, un tourbillon de plus en plus passionné et épuisant de danseuses qui se laissent déborder les emporter uniquement par la valse ».


Ravel avait décidé dès 1906 de dédier sa Valse à son amie Misia Sert. C'est dans l'appartement de cette dernière que le compositeur interpréta pour la première fois en avril 1920, une version transcrite pour deux pianos. Il joua en compagnie de Marcelle Meyer, et en présence de Stravinsky, Poulenc et Diaghilev. Poulenc reporta des années plus tard la réaction du chorégraphe : « C'est un chef-d'oeuvre, mais ce n'est pas un ballet. C'est de la peinture de ballet ! (…) » (Moi et mes amis, 1963). Ravel, furieux du refus de Diaghilev de représenter La Valse aux ballets russes, décida de couper tout lien avec lui. Il ne pardonna pas non plus à Stravinsky, son vieil ami, son silence face aux propos de son compatriote.


Le 12 décembre 1920, Camille Chevillard et l'Orchestre des Concerts Lamoureux exécutèrent la première version concert (sans ballet donc), tandis que Bronislava Nijinska et la troupe d'Ida Rubinstein créèrent la version chorégraphique le 23 mai 1929.


A l'image de Diaghilev, les critiques français furent partagés : alors que Capdevielle écrivit que « La Valse est une sorte de névrose exaspérée (…) », un autre critique, Lindenlaub, soutint au contraire que « La Valse envoûte et créé un (...) vertige, des angoisses, des détresses. Cette frénésie montante et lugubre, la lutte entre ce Johann Strauss qui ne veut pas mourir et cette course à la ruine qui prend une allure de danse macabre. Ravel a retrouvé les valses d'antan au milieu des ruines, du vide du temps présent ».


Il fallut attendre dix ans avant que l'oeuvre ne rentre dans le répertoire des orchestres symphoniques français. Au contraire, elle connut immédiatement un succès immense à l'étranger, notamment aux Etats-Unis et en Angleterre. De même à Vienne, le concert donné en 1921 et dirigé par Ravel lui-même fut un triomphe. Schönberg y félicita chaleureusement son homologue. L’œuvre reste aujourd’hui la plus jouée du compositeur basque, avec bien entendu le Boléro.

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