mercredi 6 juillet 2011

Claude Debussy - La Mer, trois esquisses symphoniques op. L109 (1902-1905)

Debussy esquissa en 1902 les premiers thèmes de La Mer, lors d’un séjour chez des amis, en Bourgogne. En 1903, sa femme qu’il venait de quitter, tenta de se suicider. Le scandale qui s’en suivit le contraint à se réfugier sur les côtes anglo-normandes, où il acheva la composition de sa plus longue œuvre orchestrale.

Debussy était fils de marin et avait grandi près de Cannes. Il avait conservé pour la mer « une fascination et une passion sincère (…). C’est ma plus vieille amie, j’ai d’innombrables souvenirs d’elle et avec elle », comme il l’écrivit au chef d’orchestre André Messager.

Le 15 octobre 1905, Camille Chevillard dirigea la Première à la tête des Concerts Lamoureux (qui avaient déjà donné en 1901 les Trois Nocturnes). De l’avis même du compositeur et de tous ses amis, ce fut une exécution très décevante. Nul dans la salle – y compris la critique – ne comprit que cette partition annonçait une véritable révolution musicale. On s’accorde ainsi à considérer que la véritable création de l’oeuvre n’eut lieu que trois ans plus tard, avec le même orchestre Colonne, mais sous la direction de Debussy lui-même.

La Mer clôt la série des œuvres « impressionnistes » de Debussy, entamée avec le Prélude à l’après-midi d’un faune et les Trois Nocturnes (1892-1894). Pourtant, le compositeur détestait cette appellation : « j’essaie de faire autre chose – en quelque sorte des réalités – que ces imbéciles appellent impressionnisme, terme aussi mal employé que possible. Je cherche à rendre avant tout des visions naturelles par l’expression musicale ».

Malgré son titre, La Mer n’est pas une « musique à programme » classique, mais comme le sous-entend le sous-titre, une série de « trois esquisses symphoniques ». En effet, ce sont les rythmes et les éléments thématiques (teintées d’influences extra-européennes) qui crééent une unité et font de l’œuvre une évocation de la mer.

De même, si l’ampleur de l’œuvre (25 minutes) justifie le terme de symphonique, on ne retrouve presque aucune des caractéristiques de la symphonie classique : les lignes de démarcation entre exposition, développement et réexposition sont trop fluides pour être tracées de manière conventionnelle. Le découpage de la partition ressemble aux plans successifs d’un film qui alterne les évocations lyriques avec le silence, les ruptures et les “flash-back”.

Le premier mouvement – De l’aube à midi sur la mer – met en scène une progression constante et colorée de l’intensité lumineuse. L’écriture est mouvante et instable, mais mise en relief par les tonalités et la polyrythmie. Le thème principal est un leitmotiv, énoncé à la trompette en sourdine puis développé et transformé harmoniquement et rythmiquement par tous les instruments de l’orchestre. Debussy joue avec les timbres de chaque instrument pour suggérer tantôt les ondulations et les clapotements délicats des vagues, tantôt le rugissement et l’écume des rouleaux. Les sonorités en imitation du gamelan (instrument des îles de Java et Bali, découvert par les occidentaux à la fin du XIXe siècle), et l’écriture en pentatoniques donnent à l’épisode une touche exotique, qui sert le propos du compositeur.

Jeux de vagues, qui joue le rôle du scherzo de la symphonie classique, est totalement atemporel. Debussy dépeint le jeu capricieux et irrégulier des vagues par une série de procédés d’orchestration (glissandi des harpes, triples croches et trilles aux cordes et à la flûte), ainsi que par une série de thèmes chromatiques très courts et dansants. La forme disparaît complètement, laissant place à des successions d’instantanés quasi photographiques. Notons toutefois que le compositeur laisse peu de marge de manœuvre à l’orchestre, indiquant précisément sur la partition chaque intensité, chaque nuance, et chaque rythme.

Le thème principal du finale Dialogue du vent et de la mer constitue l’architecture de base du mouvement, autour duquel s’ordonne le chaos des éléments déchaînés. L’épisode commence dans une atmosphère brumeuse pianissimo, par une série de petits motifs aux violoncelles et contrebasses. Un dialogue se développe entre le vent (thème chanté par la petite harmonie) et la mer (thème aux violoncelles et aux contrebasses accompagnés par les trémolos des violons). La sonnerie forte de la trompette annonce l’orage, qui finit par exploser. Les thèmes se mêlent, se combinent et s’entrechoquent. Une phrase majestueuse des cuivres éclate soudainement, au plus fort de la tempête, comme la voix de Neptune lui-même, et précipite la fin de l’œuvre.

2 commentaires:

  1. Alors voilà, le premier article que j'ai lu. Et oui, j'ai des choses à dire...
    L'article est très intéressant, bien informé, très objectif, et donne un éclairage évident à l'écoute de l'oeuvre.
    Mais je reste sur ma faim: pourquoi avoir choisi de commenter cette oeuvre ? qu'est-ce qui fait de "La Mer" une oeuvre géniale, un chef-d'oeuvre ? Ton texte est trop objectif, ou, plus précisément, il manque une part de subjectivité. Je veux comprendre pourquoi le génie de "la Mer" ne se limite pas aux procédés compositionnels de Debussy, je veux comprendre pourquoi cette oeuvre se doit de rester dans la postérité... Je pense que tu pourrais prendre plus de risque dans l’interprétation !

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  2. Bonsoir,

    Le but du blog (à l'origine) était de présenter les oeuvres d'un point de vue purement factuel. Je reconnais qu'à la lecture des articles, le résultat paraisse un peu abrupt, voire universitaire.
    Pour répondre à ta question, j'ai du mal à déterminer moi-même, de mon propre point de vue, les raisons qui font de la Mer une oeuvre qui doit rester dans la postérité, si ce n'est par les innovations musicologiques introduites par Debussy. Mettre en mot des sentiments est autrement plus délicat et sujet à controverse que présenter un essai "scientifique" (même si le mot est un peu usurpé ici)... Si tu as des idées précises de "risques" je suis preneur !

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