jeudi 7 juillet 2011

Jean Sibelius - Finlandia, op. 26 (1900)


Finlandia, composé en 1900, devint rapidement l’hymne de la Finlande indépendante, propulsant son compositeur au premier plan de la scène politique nationale et la scène musicale internationale.

Au début du XXe siècle, le mouvement indépendantiste se faisait de plus en plus pressant. L’interdiction du journal Päivälehti, chantre et symbole de l’opposition au pouvoir russe, donna lieu à une manifestation retentissante le 4 novembre 1899, pour la liberté de presse et une série de peintures musicales (« Musiques pour la célébration de la presse) furent commandés pour l’occasion. Sibelius composa ainsi sept tableaux pour orchestre symphonique, dont le sixième était l’esquisse du célèbre Finlandia. Le titre original, « Suomi herää » (l’Eveil de la Finlande), tiré d’une œuvre du compositeur E. Genetz, cherchait à traduire en musique la menace russe et l’esprit de résistance finnois. Ce morceau fut le point culminant de la soirée : « les sonorités lugubres, imposantes, du début de ce que nous connaissons maintenant, surgirent soudain de la fin des horreurs de la Grande inimitié [avec la Russie] », dit le critique H. Klemetti.

L’ouvrage définitif, retravaillé, fut publié en 1900. Ovationnée à chacune de ses interprétations, la partition devint rapidement l’une des plus jouées du compositeur, en Finlande, mais également à l’étranger. Dès 1900, deux concerts à Paris saluèrent le travail du compositeur : A. Bruneau loua dans Le Figaro « La Patrie [=Finlandia] de M. Sibelius, rapsodie à la fois tragique, héroïque, religieuse et douloureuse ». P. Lalo insista pour sa part, dans Le Temps, sur la portée poétique de l’œuvre : « une vigoureuse rapsodie où se mêlent les chants héroïques et les chants religieux, […] un art pittoresque dans lequel il tente [.. .] de communiquer des sensations de paysages, de créer une expression musicale des forêts, des eaux et du ciel de la Finlande ». G. Beaume vanta, dans le Courrier Musical, « Finlandia […] un hymne d’une beauté sauvage et rude, pareil au pays qu’il veut dépeindre », tandis que G. Babin dans le Journal des Débats souligna « l’enthousiasme indescriptible soulevé par la Patrie : il y avait beaucoup de Finlandais tout vibrants et dont la flamme a gagné l’auditoire entier ».
Dans son Journal, Sibelius raconta notamment, qu’en mars 1909, à la fin d’un concert au Queen’s Hall de Londres « [il a] été rappelé sept fois après En Saga, et après Finlandia bien davantage ! » Lors de son voyage américain, en 1915, il eut l’occasion d’entendre 59 fois son œuvre, sous toutes les formes et avec toute sorte de formations.
L’édition du 8 décembre 1940 du New York Times, rendit hommage à l’œuvre : « l’immortel Finlandia a démontré l’immense aptitude de Sibelius à dire des choses simples d’une façon directe et populaire, typique d’un grand maître et d’un suprême artiste ».

Sibelius se chargea d’adapter son œuvre pour chœur. Une première version, sur des textes de W. Sola – son frère de maçonnerie – en 1938, pour chœur d’hommes, fut intégrée à la Musique maçonnique rituelle. Sibelius écrivit une seconde version pour chœur d’hommes en 1940, la plus souvent interprétée, sur des textes de V. Koskenniemi :
Tiens, Finlande, ton jour se lève désormais,
la menace de la nuit a été écartée.
l'alouette appelle à travers la lumière du matin,
le bleu du ciel lui donne son chemin,
et maintenant avec le jour, les pouvoirs de la nuit s'effritent :
le jour se lève, ô notre Finlande !
Finlande, debout, et élève-toi vers le plus haut.
Ta tête désormais couronnée avec une mémoire puissante.
Finlande, debout, parce que tu as crié au monde
que tu t'es débarassée de ton esclavage,
sous le joug de l'oppression tu ne demeureras plus.
Ton matin est arrivé, ô notre Finlande !

Une dernière version, pour chœur mixte fut composée par Sibelius en 1948.

L’œuvre était si chargée politiquement qu’une lectrice du New York Times, le 15 octobre 1942 estima que « nous devrions nous abstenir de jouer Finlandia, qui n’est autre que l’hymne national de la Finlande [sic], pays actuellement en lutte active contre nos alliés. J’insiste sur le fait que c’est Finlandia et non Jean Sibelius, qui devrait être interdit pour la durée de la guerre ».
W. Sola, en 1937 tenta de faire de Finlandia l’hymne de la Finlande indépendante (alors qu’elle appartenait encore à l’URSS). Même si ce projet échoua, Finlandia continua d’être considérée comme tel. Aujourd’hui encore, l’œuvre remplace encore bien souvent, même dans les célébrations officielles, le véritable hymne.
Toutefois, méfions nous : Sibelius refusait de voir dans son œuvre un hymne à la résistance. Ainsi, dans un entretien avec le journal danois Berlingske Tidende, le 10 juin 1919, il répondit au journaliste :
« - Finlandia n’exprime-t-elle pas les douleurs et les aspirations de la Finlande [à l’indépendance] ?
« - Non, ce n’est en tout cas pas ainsi que je le vois moi-même. L’œuvre possède évidemment un contenu patriotique, mais très objectif. Il se trouve que je suis moi-même Finlandais. Mais comme cela va de soi, je ne m’en aperçois pas moi-même ».
Malgré tout, conscient de la portée symbolique de son œuvre, et pour éviter la censure, il modifia le titre sur les programmes de plusieurs concerts qu’il donna en URSS : en juin 1903 et en juillet 1904 notamment, lors de deux tournées en Estonie, « Finlandia » devint « Impromptu »

Que l’œuvre soit un chant triomphal à la Finlande indépendante ou non, elle présente en tout état de cause des caractéristiques évidentes du travail du compositeur à cette époque.

L’œuvre se découpe en trois parties distinctes : un Andante sostenuto à 2/2 menaçant et solennel), puis, après une brève transition Allegro moderato, un Allegro à 4/4 dramatique et éclatant.

Les cuivres, dans une tonalité de fa dièse mineur, ouvrent le morceau. L’œuvre se fixe ensuite en fa mineur, avec l’arrivée des bois et des cordes. Sibelius utilise, pour tisser une longue métaphore sur la Finlande dans les ténèbres, sous le joug de la Russie, un rythme pesant et un matériau mélodique très épuré, basé sur une série d’accords. Le conflit latent (le rythme irrégulier des cuivres et des cordes graves) explose soudainement : la Finlande commence sa Révolution.
L’épisode central, beaucoup plus enjoué, se découpe en deux strophes distinctes. Le mélodie, inspiré du folklore finnois et aisément identifiable, représente le peuple finlandais en marche.
Un long crescendo amène la troisième partie, et la victoire de la Finlande. Les différents thèmes réexposés et transposés passent de pupitre en pupitre. La tonalité de la bémol majeur, s’épanouit, et laisse la place à l’hymne final composé de sept mesures et entrevu dans la seconde partie, qui se conclut par le chant de tout l’orchestre.

Si Finlandia, comme la Valse Triste, apporta incontestablement à Sibelius la reconnaissance internationale (et la fortune !), l’œuvre le marqua de manière « si indélébile que ses productions ultérieures ne pouvaient que sombrer, aux yeux des critique, dans la catégorie facile et du simple nationalisme » (Hepolski).

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