samedi 30 juillet 2011

Nicolaï Rimsky-Korsakov - Sheherazade (1888) / 1ere partie

La musique dans l’Empire russe du milieu du XIXe siècle vit s’affronter deux courants esthétiques. D’un côté, les artistes « officiels », conformistes mais raffinés, héritiers des grands courants d’Europe occidentale et centrale. Tous ces compositeurs, à l’image de ses chefs de file, les frères Antoine et Nicolas Rubinstein, puis plus tard Tchaïkovski, avaient fait leurs études en Allemagne, et ne cessaient de se référer à Beethoven et Brahms. De l’autre, un groupe éclectique de cinq amis compositeurs (qu’on surnommera – quelle imagination – « groupe des cinq ») qui s’était formé autour de César Cui, de Balakirev, de Borodine, de Moussorgsky et de Rimsky-Korsakov. Ces compositeurs s’employèrent à rechercher et à réutiliser dans leur musique le folklore russe, dans le but de faire émerger un art populaire et original, typiquement russe, en rupture avec la musique occidentale. L’expansion de l’Empire russe vers l’est et le sud, à l’intérieur du monde islamique servit également de matériau artistique à ces compositeurs. Ainsi, Rimsky-Korsakov était fasciné par les charmes de cet orient enchanté, peuplé de rêves, de couleurs, de chaleur, d’aventures exotiques et de sensualité ardente, qu’il voyait comme un Eden lointain et idéal. Ce Shéhérazade, composé en 1888, s’inscrit dans cette attirance irrésistible de l’Orient.



Il est important de comprendre que, contrairement à ce qu’on imagine généralement, les réunions du groupe étaient plus l’occasion d’établir un débat d’idées – et de boire jusqu’au bout de la nuit, plutôt qu’à définir une réelle ligne artistique homogène : chacun pouvait ensuite reprendre à son compte l’un des axes définis, et était libre de développer à sa manière ses propres théories. Rimsky-Korsakov, aristocrate de naissance – qui avait décidé d’abandonner du jour au lendemain une brillante carrière d’officier de la marine pour étudier puis enseigner la musique, était musicalement beaucoup plus conformiste que ses congénères : il réutilisait par exemple bien souvent les formes classiques que les autres rejetaient, mais en les détournant.



Tous ces compositeurs bénéficièrent à la fois des théories musicales développées par leur « maître spirituel » Glinka ; et surtout – car c’est toujours le nerf de la guerre – de l’aide financière du mécène Belaïev qui, grâce à la création d’une maison d’édition de musique russe à Leipzig, contribua largement à faire connaître leurs œuvres à travers l’Europe.

Sous-titré « suite symphonique », Shéhérazade est à mi-chemin entre la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz (1830) et le Poème symphonique, composé par Franz Liszt en 1854 ; à la limite entre la « musique à programme » et la « musique absolue ». A l’origine, Rimsky-Korsakov voulait composer une suite possédant le cadre externe d’une symphonie (quatre mouvements, orchestre relativement restreint) mais dont l’ensemble gardait la liberté de la Rhapsodie. Ainsi, il avait projeté d’appeler sobrement les quatres parties de son œuvre : I. Prélude. II. Ballade. III. Adagio. IV. Finale.



Toutefois, après avoir découvert le fameux cycle de contes orientaux Les Mille et Une Nuits d’Arabie, le compositeur décida d’adapter certains de ces récits, et de les mettre en musique. Chacune des quatre parties reprend donc le titre et le récit d’un conte :

I. La mer et le bateau de Sinbad

II. Le récit du Prince Kalender

III. Le jeune Prince et la jeune Princesse

IV. La Fête de Bagdad – La mer – Naufrage sur les Rochers.

Mais plutôt que coller à l’œuvre littéraire, Rimsky-Korsakov s’attacha à n’en réutiliser que l’esprit poétique du récit et « les images des Mille et Unes Nuits ». Il utilisa les titres pour expliciter le choix de certains choix esthétiques, mais préféra ne pas définir de programme trop précis, laissant à l’auditeur à son imagination. Le compositeur insista ainsi à de nombreuses reprises sur le fait qu’il ne cherchait pas à raconter d’histoire en particulier, ni à décrire des détails précis.



La préface de sa partition résume à la fois la trame et l’argument de la pièce : « le Sultan Shariar, convaincu de l’infidélité des femmes, avait juré de mettre à mort chacune de ses épouses au terme d’une seule nuit. La Sultane Shéhérazade sauva cependant sa vie en le divertissant grâce à des histoires qu’elle lui raconta durant mille et une nuits. Vaincu par la curiosité, le Sultan remit de jour en jour l’exécution de sa femme et décida finalement de renoncer à son vœu sanglant. De nombreux prodiges furent ainsi racontés au Sultan. Pour ses histoires, la Sultane emprunta les vers de paroles et les paroles de chansons populaires et construisit de toutes pièces contes et aventures, imbriquant les histoires les unes dans les autres ». Quelques années plus tard, dans son autobiographie (Journal de ma vie musicale), Rimsky-Korsakov revint sur la génèse de l’œuvre : « Le programme qui me guida pour la composition de Shéhérazade consistait en épisodes distincts, sans lien entre eux, et d’images des Mille et Une Nuits. Le lien entre eux consistait en de brèves introductions aux première, deuxième et quatrième parties et en un intermède contenu dans la troisième, destinés au violon solo, et représentant Shéhérazade elle-même racontant ses histoires merveilleuses au terrible sultan. La conclusion de la quatrième partie a la même signification artistique (…). Je pensais composer une suite symphonique en quatre parties, intimement liées par des thèmes et des motifs communs, mais se présentant comme un kaléidoscope d’images fabuleuses de caractère oriental ».






Pour écouter en même temps les oeuvres, trois disques :

K. Kondrachine/Concertgebow Orchestra - Philips (1980), référence absolue

V. Gergiev / Kirov Orchestra - Philips (2002), pour la passion qui s'en dégage

Sir T. Beecham / Royal Philarmonic Orchestra - EMI (1974), pour la poésie et la douceur

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