Passionné par la musique concertante, Antonín Dvořák composa ainsi un Concerto pour piano (1876), un Concerto pour violon (1880), ainsi que des pièces courtes comme la Romance pour violon et orchestre ou le Rondo pour violoncelle et orchestre. Pourtant, on ne se souvient que de son second Concerto pour violoncelle en si mineur (le premier, créé en 1865, ne fut pas orchestré par le compositeur). Cette œuvre s’est en effet rapidement imposée dans le Grand Répertoire concertant, et figure très régulièrement dans les programmes de concert à travers le monde.
En 1895, date de la création de l’œuvre, Dvořák était à l’apogée de sa carrière. Très connu du grand public et respecté par ses pairs, il avait été contacté trois ans plus tôt pour diriger le prestigieux Conservatoire de New-York. Le mal du pays l’avait néanmoins poussé à démissionner quelques semaines avant la composition de ce Concerto pour violoncelle n°2, qui fut donc la dernière « œuvre américaine » du compositeur. Cette période fut très fertile puisqu’elle vit naître trois de ses œuvres les plus célèbres : la Symphonie n°9 « du nouveau monde », le Quatuor n°12 « américain » et ce Concerto pour violoncelle n°2.
En écoutant le Concerto pour violoncelle n° 2 du compositeur irlandais Victor Herbert, Dvorak décida de réaliser une œuvre similaire. Ce dernier composa rapidement la partition, au cours de l’hiver 1895, qu’il dédia à son ami pragois, le violoncelliste Hanuš Wihan. Malheureusement, un différent éclata entre les deux hommes, peu avant la Première : le violoncelliste souhaitait rajouter une cadence au dernier mouvement, ce que Dvořák refusait obstinément. Ainsi, le compositeur écrivit à son éditeur : « Il n’y a pas de cadence dans le dernier mouvement, que ce soit dans la partition ou dans l’arrangement pour piano. C’est immédiatement ce que j’ai dit à Wihan quand il me l’a montrée ; il est impossible d’ajouter un tel passage. […] C’était mon idée et je ne peux m’en détacher ». Aussi la Première eut-elle lieu le 19 mars 1896 à Londres avec Leo Stern en soliste, et l'Orchestre de la Société Philharmonique sous la direction du compositeur.
D’une durée de trente minutes environ, le concerto se compose de trois mouvements – vif, lent, vif – comme le voulait la tradition :
• Allegro;
• Adagio ma non troppo;
• Finale. Allegro moderato.
Contrairement à ses confrères compositeurs, Dvořák refusait la virtuosité gratuite et accordait une place essentielle à la partie orchestrale. Dans ce Concerto pour violoncelle, le chant du soliste est souvent secondé – plus qu’accompagné – par un orchestre réduit (bois par deux), dont la partie est volontairement très dense. Dvorak subit régulièrement à ce sujet les attaques des critiques. Un critique du Musical News déplora par exemple, à l’audition du Concerto pour violoncelle, le fait que « le solo était masqué par l’élaboration des parties d’orchestre ». A l’inverse, Johannes Brahms aurait dit, subjugué : « Pourquoi diable ne m'a-t-on pas dit que l'on pouvait écrire un concerto pour violoncelle comme celui-ci ? Si seulement je m'en étais douté, j'en aurais écrit un depuis longtemps ».
L’œuvre s’ouvre sur une longue introduction épique de l’orchestre qui s’étire sur plus de trois minutes. L’introduction se termine avec l’entrée impérieuse du violoncelle en mode majeur. Le développement permet à Dvořák de jouer avec les différentes gammes émotionnelles qu’offre le violoncelle : celui-ci se fait tour à tour fougueux, passionné, doux puis révolté. L'orchestre le soutient avant de présenter le second thème, repris par le soliste. Ce motif au lyrisme exacerbé est un véritable chant d’amour, qui rappelle certains airs tristes de son opéra, Rusalka. La seconde moitié du mouvement (Molto sostenuto), qu’il remodela plusieurs fois, est chargée d’une incontestable intensité dramatique, notamment dans le dialogue entre la flûte et le violoncelle. La coda est menée par un orchestre impétueux, galvanisé par les appels des cuivres.
Le second mouvement est, comme dans la Septième symphonie, introduit par un choral des bois. Le soliste entame une nouvelle mélodie, très proche du célèbre largo de la Symphonie du Nouveau Monde. Le tutti orchestral, construit à partir d’un air bohémien, éclate brusquement. Le soliste le reprend ensuite, accompagné une nouvelle fois par un contre-chant de la flûte solo. Les délicats pizzicati des violons soutiennent et encouragent la ballade du soliste. Ce thème est issu d’un Lied qu’il avait composé en 1887 : Lasst mich allein (« Laissez-moi seul »). Le soliste ne s'efface que pour laisser les cors faire écho à sa plainte nostalgique. Le bref chant de joie qui illumine la fin de l'adagio s'éteint dans la reprise du choral des bois.
C'est l'orchestre héroïque du premier mouvement, puissant et exubérant qui introduit le final avec ses rythmes vigoureux. La marche, énergique, monte crescendo et s’empare de tout l’orchestre. Le violoncelle apparaît sur le même mode au sommet du climax . La sévérité de cette entrée est très vite adoucie par l'apparition du second thème plus apaisé. Certains musicologues y ont vu un hymne à la Bohême, que le compositeur nostalgique allait retrouver quelques mois plus tard.
Le dernier passage très méditatif a été ajouté quelques semaines après le retour de Dvořák en Bohème, lorsqu’il apprit la disparition de sa belle-sœur et amour de jeunesse, Josefina Kaunitzova.
Dans une lettre à son éditeur, Dvorak décrivit la fin de son Concerto pour violoncelle : « Le finale prend fin progressivement diminuendo – comme un soupir – avec des évocations des premier et second mouvements ; le solo s’éteint pianissimo – puis grossit de nouveau – les dernières mesures sont reprises par l’orchestre et le tout prend fin dans une atmosphère d’orage ».
L’air Lasst mich allein réapparait furtivement, avant que la furia conclusive emporte tout.
dimanche 10 juillet 2011
Antonin Dvorak - Concerto pour violoncelle (1895)
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Très bien écrit, bien documenté: une lecture plaisir enrichissante.
RépondreSupprimer